Le cœur des arbres / rencontre avec Jules Lobgeois
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The Heart of Trees / a meeting with Jules Lobgeois
Un maigre soleil de novembre se cache sous un ciel qui se plie, se replie un peu plus chaque jour. Les feuilles-flammes des érables, des charmes, des bouleaux frémissent tout doucement dans ce tableau mélancolique sans tristesse, comme un chagrin qui serait tendre. L’herbe grasse, la plaine immense, les fruitiers nus, les briques rouges et les clochers d’ardoise qui piquent le ciel; dans un petit bout de cette campagne normande, il y a cette charmante maison - celle de Jules Lobgeois. Sur le terrain qui entoure la longère, des enfants-arbres -pin de l’Himalaya, cyprès chauve, cèdre vert, tulipier de Virginie- plantés comme des vœux.
Investir une terre, y déposer des promesses, des habitudes, des gestes, un quotidien. Comme les enfants font des cabanes, au fond des bois ou sous les tuiles des greniers. Au-delà de déposer un matelas sur un sommier, confier un bout de son existence à un endroit précis de cette Terre. Savoir quelle fleur y reviendra au printemps, ressentir de la peine pour un buis qui se meurt, connaître le nom des oiseaux qui se posent sur les branches des sureaux, anticiper la course du soleil en fonction des saisons, qui se meut de fenêtre en fenêtre.
Savoir sur quelle chaise on se sent bien.
Si nous habitions humblement un lieu, il nous faudra nous demander si nous sommes dignes de gagner le cœur des arbres qui nous entourent. Et cela signifiera alors être dignes des ans, des heures, de ces heures végétales, celles qu’aucune technologie n’a réussi à arracher à la terre, être dignes du temps qui est passé par là. Des vies dont il a fallu qu’elles voient le jour, des insectes qui ont rendu fertile le sol, des corps qui se sont décomposés, des fruits que personne n’a ramassés, de tout ce qui s’est passé sans nous, du vent qui a caressé et fait ronronner l’écorce drue de l’arbre-animal, l’arbre-parole, l’arbre-témoin. On pourra lire le présent dans les lignes de la main de l’arbre. Les œuvres de Jules Lobgeois immobilisent dans leur nudité des troncs centenaires et la beauté criante de leur existence.
Dans le muscle de l’arbre surgissent des formes mouvantes, végétales et animales, qui se figent parfois dans la froideur électrique du métal. Et le cœur est mis à nu, et les arbres de parler, raconter, pour qui voudra bien entendre, toutes les conversations des oiseaux qui ont attendri leurs branches, et la dureté des hivers, et la douceur des printemps. Sur l’arbre-parchemin, les lignes des versets dansent et craquent ; sont inscrits les échos des tempêtes, la sécheresse d’un été, les synapses figées des conversations inachevées. La Vie s’est inventé un roman qui décrit son amour pour elle-même, un long monologue troublant qui vibre dans le cœur des arbres. Comme une photographie, le travail de Jules Lobgeois se pose en spectateur tout en dévoilant, geste après geste, un mouvement suspendu, et ses mains, comme le révélateur, viennent déposer patiemment les lumières et les ombres.
Dans les jours qui se plient, se replient, dans la nuit qui gagne du terrain, il nous est possible de nous mettre un instant à l’abri du temps qui passe, pour contempler la beauté sans artifice des bûches qui se consument. En approchant un peu nos mains du feu, le sang se remet à trembler. Ceux qui vivent avec les arbres savent que, dans la grâce des feuilles mortes qui se détachent avec le vent, il y a la sempiternelle promesse du printemps.
Les pièces issues de la nouvelle collaboration
avec Jules Lobgeois seront présentées lors du Wabi Sabi Lab,
du 28 novembre au 2 décembre 2024
au Domaine de Quincampoix.